Le
massacre du vendredi 22: un coup de pub
par Israël Adam Shamir
Quand les larmes auront séché et que le silence sera revenu, nous reconnaîtrons
la qualité cinématographique du Massacre d'Utoya, sorti tout droit des films
d'horreur les plus trash. Dans le genre Scream ou Vendredi 13 ou Cauchemar à Elm
Street, nous avons vu souvent un serial killer s'introduire dans un paisible
camp d'ados, l'été, pour assassiner des jeunes vacanciers. Le tueur du vendredi
22 a transposé la pellicule dans la vie, approfondissant ainsi
l'interpénétration de l'art et de la réalité, depuis les films gore, les jeux de
massacre en ligne, des attaques de drones sans nom dans des pays lointains, pour
finir en beauté avec la longue tuerie sur l'île au milieu du fjord.
Tirer sur des gens qui ne peuvent pas riposter est le dernier degré de bassesse
des assassins de masse, des bourreaux, et des soldats de l'OTAN. Pendant deux
heures, le tueur a traqué sans risque, professionnellement, en toute confiance,
froidement, les jeunes désarmés, les descendant un par un comme des pigeons.
Breivik détestait les musulmans, les socialistes, probablement Kadhafi aussi,
puisqu'il est musulman et socialiste, et son exploit devrait rappeler aux
peuples d'Europe que les guerres hors de nos frontières amèneront la guerre sur
notre sol en retour, bien mieux qu'un millier de terroristes que pourrait
envoyer Kadhafi. Trop de permis de tuer ont été mis en circulation.
Pourquoi l'a-t-il fait? Nous pouvons répondre à la question: ce massacre a été
essentiellement un coup de pub pour le grand œuvre du tueur, les 1500 pages de
son manifeste qui a pour titre 2083. Ce n'est pas vraiment un monument de
l'esprit humain, plutôt un fatras copié-collé des écrits néoconservateurs sur
l'Islam, violemment anticommunistes. Néanmoins cela nous est utile précisément
parce que la quantité de gens abattus se voulait une incitation à le lire. Si ce
Breivik était atteint du syndrome d'Erostrate, voyons pourquoi il a fait feu sur
le temple de tant de vies. Et surtout, voyons où il s'est trompé.
2083 révèle un nouveau virus politique vicieux, mis au point dans les
laboratoires des think-tanks néoconservateurs, section génie génétique. Pendant
des années on pensait qu'un nazi pouvait détester les juifs et être ami avec les
musulmans, parce que c'était le cas sous le nazisme d'Hitler. Un nazi n'était
pas censé détester les rouges parce que le communisme était une idéologie
totalitaire semblable, selon Karl Popper et George Bush. Un néo-nazi devrait
aimer Adolf Hitler et brandir l'étendard du racisme.
Or le travail prolongé des idéologues juifs liés aux néoconservateurs a réussi à
renverser les positions. Aujourd'hui nous avons une kyrielle de partis et de
mouvements qui joignent des idées d'extrême droite à la sympathie pour les
juifs, la tolérance envers les gays, et la haine de l'Islam. L'auteur de 2083
est pro-juifs, pro-gays, violemment antimusulman et anticommuniste. Il est plus
proche de Pym Fortuyn, l'homme politique hollandais d'extrême droite assassiné,
qui était judéophile et gay. Il manifestait avec EDL, une mouvance anglaise
vivement judéophile et antimusulmane.
Le 2083 de Bereivik est lourdement influencé par les écrits juifs néocons
d'extrême droite. Comme c'est souvent le cas avec les compilateurs qui font du
copié-collé, il est difficile de séparer complètement les mots du compilateur et
ceux des auteurs dont il est parti. Si cela devait être publié un jour, le
copyright en reviendrait probablement à David Horowitz, et à Bat Yeor, et Daniel
Pipes ainsi qu'Andrew Bostom auraient les honneurs de la page trois. Ce sont ces
auteurs-là qui l'ont inspiré pour commettre son meurtre de masse.
Quelques heures à peine avant le massacre, écrit Gilad Atzmon, Joseph Klein
avait publié un article intitulé "Les Quisling de Norvège", dans le magazine
FrontPage, en y rajoutant un appel au meurtre. Klein écrivait: "l'infâme
norvégien Vidkun Quisling, qui avait prêté main forte à l'Allemagne nazie alors
qu'elle conquérait son propre pays, doit être en train d'applaudir dans sa
tombe... La Norvège est effectivement sous l'occupation de la gauche antisémite
et des musulmans radicaux, et se révèle disposée à contribuer à la destruction
effective de l'Etat juif d'Israël."
Ce sont là des termes batailleurs, et Breitvik les reprenait en armant ses
flingues. 2083 apporte la preuve de ces sources. Les citations du FrontPage de
David Horowitz et de ses auteurs prennent des centaines de pages. Bernard Lewis
y est à l'honneur. La célèbre Bat Yeor, une dame juive égyptienne qui réside en
Suisse, qui a implanté le terme d'"Eurabie" (une prétendue conspiration pour
soumettre l'Europe au joug arabe) et qui a beaucoup fait pour promouvoir la peur
de l'islam, était en correspondance avec le tueur, et elle l'avait "gentiment"
conseillé, lui adressant des textes inédits de sa main. C'est la seule personne
nommément mentionnée dans sa "Déclaration d'Indépendance Européenne", et elle
devrait bientôt adresser ses conseils aux nouveaux Européens indépendants,
selon Bat Yeor en personne.
Robert Spenser, un acolyte de David Horowitz du Jihad Watch, est une autre des
idoles du tueur, de même que le sioniste américain Andrew G. Bostom, qui s'est
auto-proclamé expert en "antisémitisme islamique". Daniel Pipes est présenté
avec sa thèse selon laquelle "le phénomène palestinien a été créé dans le but de
justifier le Jihad". Quant à Melanie Phillips, la sioniste anglaise
d'extrême-droite, amie du dirigeant du BNP, elle est bien là aussi, avec
d'autres pro-fascistes qui détestent l'islam. Ce sont ces gens-là, d'ailleurs,
qui m'ont plusieurs fois condamné pour mon "anti-sémitisme", ce qui est assez
cocasse.
Politiquement, les sympathies du tueur vont aux USA et à Israël: "les créateurs
de l'Eurabie ont mené une campagne de propagande avec succès contre ces deux
pays dans les media européens. Ce montage a été facilité par les courants
préexistants, antisémites et antiaméricains, dans certaines régions de
l'Europe". Pour ce qui est de l'économie, il préférait Milton Friedman, n'aimait
pas les impôts, et il était contre les systèmes de sécurité sociale.
Il détestait les Palestiniens, et parle d'un "Jihad terroriste palestinien".
Comme tout bon sioniste, il répétait avec des trémolos la rengaine: "Muhammad
Amin al-Hussein, le grand Mufti de Jérusalem, et dirigeant nationaliste arabe,
qui était derrière la création de la Ligue Arabe et qui a été le père spirituel
de l'OLP, était un collaborateur proche de l'Allemagne nazi, et il avait
rencontré Hitler en personne. Dans un appel à la radio depuis Berlin, il avait
appelé les musulmans à abattre les juifs partout où ils en trouveraient... il
avait visité incognito les chambres à gaz d'Auschwitz". Parmi les premières
choses que les Européens indépendants devraient faire, il faudrait couper toute
aide aux Palestiniens.
Pour Breivik, comme pour ses maîtres juifs, Adolf Hitler est l'incarnation du
mal. Il a a accepté et soutenu l'antiracisme, au moins pour des raisons
tactiques. Sa haine pour le multiculturalisme est culturel, et non pas basé sur
la race: il a abattu des Norvégiens aux yeux bleus tout comme leurs hôtes
basanés. Il détestait même David Duke, parce qu'il est contre les juifs. Sa
haine pour l'Islam ne s'arrête pas aux frontières de la Norvège ou de l'Europe;
comme les néocons, il haïssait les musulmans partout où il pouvait en dénicher.
Il consacre plusieurs pages à la description des crimes turcs, qui incluent les
massacres d'Arméniens, de Grecs, et de Kurdes. Il y a un long chapitre sur
l'histoire moderne du Liban, d'où, curieusement les guerres israéliennes sont
absentes, et tous les problèmes de ce pays sont présentés en termes de division
entre chrétiens et musulmans. Son héros historique favori est Vlad l'Empaleur,
le prince roumain mieux connu sous le nom de comte Dracula.
Sa logique est primitive et défectueuse: "Si tous les groupes ethniques étaient
égaux et toutes les cultures aussi, pourquoi donc les Africains noirs, les
Afro-caribéens, les Pakistanais, les Indiens, les Chinois, et les Européens de
l'Est veulent-ils quitter leurs pays en masse, pour s'en venir vivre en
Occident?". La réponse toute simple: "parce que l'Occident a constamment pillé
leurs pays et continue à le faire", ne vient pas à l'esprit de Breivik.
Il se demande: "Si nous sommes vraiment égaux, pourquoi le reste du monde
veut-il vivre à l' occidentale, ce style de vie créé principalement par les
blancs? De même, pourquoi donc veulent-ils prendre part au capitalisme, diriger
des affaires, travailler pour l'industrie des blancs, aspirer au bien-être des
blancs, et acheter et utiliser des biens issus de la créativité et de la
naïveté des blancs occidentaux?
La réponse correcte est: "mais non, il n'en est rien; seulement ils reçoivent
des bombes sur la figure ou subissent des blocus, dès qu'ils entendent suivre
leur propre mode de vie, comme dans la Cuba socialiste, la Corée du Nord ou la
Libye."
On ne saurait caractériser Breivik comme un fondamentaliste chrétien, ni même
comme un chrétien tout court, ou un chrétien sioniste. Ses sentiments envers le
christianisme sont au mieux des sentiments tièdes. Il ne parvient même pas à
décider s'il est chrétien, il en est encore à "peser le pour et le contre.
Certaines des critiques contre le christianisme... sont légitimes." Comme les
militants juifs, il approuve le "Concile Vatican II des années 1960, qui a tendu
la main aux juifs", alors que la droite conservatrice déteste habituellement
cela, précisément.
Breivik est livide face à l'immigration musulmane, quoique ses arguments soient
valables pour l'immigration en général; il insiste toujours pour souligner
l'élément "musulman". Mais il n'appelle pas son pays à cesser de tourmenter les
Etas musulmans, alors que c'est pourtant la principale raison de l'immigration
musulmane.
Pourtant, le débat sur l'immigration est pratiquement réglé en Europe. La
compréhension des coûts sociaux élevés de l'immigration a pénétré toutes les
strates de la société européenne. L'immigration constitue un grand problème pour
l'Europe avec, en toile de fond, la dénatalité. Personne n'en veut, sauf les
riches privilégiés. Si, à une époque, l'immigration apparaissait comme une
baguette magique pour éviter aux citoyens l'ennui des corvées, quelque chose de
comparable aux esclaves dans la Grèce antique, ou des machines, les peuples ne
voient plus les choses de cette façon, dans la mesure où les immigrants se sont
affranchis, quoique non intégrés. S'ils choisissent de travailler, ils
provoquent certainement plus de chômage et de baisse des salaires, et dans le
cas contraire, ils alourdissent les comptes de la sécurité sociale. C'est
peut-être un peu tard, mais en tout cas maintenant le débat est clos en Europe.
Aujourd'hui, un Norvégien n'a pas besoin de flinguer ses concitoyens pour
exprimer son désaccord avec l'immigration: c'est devenu un lieu commun.
L'essayiste de Counterpunch Vijay Prashad a écrit: "les jeunes socialistes
assassinés avaient dans leurs rangs des enfants d'immigrés du Sri Lanka et de
l'Afrique du Nord. Leur Norvège n'était pas celle de Breivik. C'est probablement
pour cela que Breivik ne les aimait pas: il n'avait pas envie que leur Norvège
déplace sa Norvège. Prashad a condamné les conservateurs européens qui "sont
incapables de concevoir que des êtres humains puissent partager leur existence
avec des gens différents", mais l'histoire du Sri Lanka n'est pas la meilleure
recommandation pour la coexistence pacifique. Si pourtant les habitants du Sri
Lanka veulent "partager leur existence avec des gens différents", il va falloir
qu'ils s'entraînent chez eux, pas en Norvège. Prashad peut bien qualifier Merkel
et Sarkozy de nazis parce qu'ils refusent une immigration supplémentaire, mais
le massacre d'Utoya a adressé un signal fort: c'est vrai que la plupart des gens
en ont assez de l'immigration et veulent qu'on y mette un terme.
En fait, l'immigration a beaucoup ralenti en Norvège. Le gouvernement
norvégien, comme beaucoup d'autres gouvernements d'Europe occidentale, a rendu
l'immigration pratiquement impossible. On se souvient du cas d'une jeune femme
du Caucase qui après avoir vécu une dizaine d'années en Norvège, y avoir achevé
ses études universitaires, y avoir écrit un roman en norvégien, s'est malgré
cela trouvée déportée comme une vulgaire étrangère en situation irrégulière. Le
multiculturalisme est un slogan dépassé, et Breivik est aussi périmé que Prashad.
Traduction: Maria Poumier
|