Emasculer l'humanité
par Israël Shamir
Hollywood a installé en nous une ferme
croyance aux dénouements heureux. Nous avons beau savoir qu'ils sont rares, les
"happy ends", les films renouvellent notre espérance à intervalles réguliers,
tandis que la réalité la minent. La semaine dernière, lorsque la Haute Cour
britannique a tranché, en faveur de l'extradition de Julian Assange en Suède,
l'espoir a encore perdu la partie.
Quelques jours plus tôt, j'avais
demandé à Julian ce qu'il ferait si la cour lui rendait sa liberté, après plus
d'un an d'arrêt domiciliaire avec un bracelet électronique au pied. "Je suivrai
l'inspiration du moment, sans obéir au aucun plan ni balisage, comme par exemple
aller où je voudrai, et faire ce que je veux", avait-t-il répondu.
Hélas, ça ne va pas être possible.
C'est vraiment la saison où l'on voit
les ânes braire de joie devant le lion en captivité. The Guardian, le
journal qui a gagné des millions en puisant dans la mine d'or des informations
fournies par Julian, et qui ensuite s'est retourné contre lui, pour devenir le
pire ennemi de l'audacieux Australien, a publié un triste papier par
l'éditorialiste d'un obséquieux tabloïde suédois de droite, Expressen,
Mme. Karen Olsson. Elle raconte une histoire de Suédois déçus par Assange, "le
héros devenu zéro", en omettant opportunément de mentionner le rôle qu'elle-même
a joué là-dedans. Car le meurtre en effigie de Julian Assange, c'est en grande
partie son œuvre. L'Expressen a obtenu le scoop des deux amies féministes
qui sont allées voir une policière amicale, et en temps réel, l'Expressen
a publié en gros titre "Assange recherché pour viol" aussitôt, avant d'avoir pu
joindre le bureau du procureur, et avant que les poursuites commencent.
Ca tombait trop bien, l'Expressen
appartient à Karl Johan Bonnier, le Murdoch suédois, et son empire médiatique a
soutenu la coalition de droite du gouvernement, promu la participation suédoise
dans les guerres US, le bombardement de la Libye et l'envoi de troupes en
Afghanistan. Le Guardian a tout simplement commandé l'article choc à une
éditorialiste qui publie des articles racistes appelant à la déportation des
Arabes hors du paradis suédois. C'est bizarre qu'ils n'aient pas demandé un
article d'opinion à la procureuse suédoise Ms. Ny qui s'est rendue célèbre en
disant que tout homme appartient de droit à la prison, dès lors qu'une femme
porte plainte, même si on n'arrive pas à tenir de preuves solides.
La chasse à courre contre Assange
coûte très cher. Cette histoire de passade recyclée en viol ruine la Grande
Bretagne comme la Suède, et a presque détruit Assange. Pour vous donner une
idée du coût pour le contribuable, ses avocats lui ont déjà présenté une note de
600 000 livres, soit presque un million de dollars. Tout le personnel impliqué
dans l'accusation, y compris les juges, va exiger le double ou le triple. Nos
gouvernements n'ont pas de quoi financer les écoles et la santé publique, mais
ils sont toujours prêts à dépenser des millions pour mettre quelqu'un derrière
les barreaux pour des motifs ridicules.
Il y a certes des motivations
politiques derrière cette affaire, mais le cas d'Assange n'est pas exceptionnel,
parce que la Suède est victime d'une expérimentation sociale cruelle, en termes
de redéfinition des sexes: il n'y a pas longtemps, un Suédois a été envoyé en
taule pour 18 mois parce qu'il n'était pas arrivé à réveiller correctement sa
copine avant une séance amoureuse matinale. Les Suédois ont de bonnes raisons
de redouter le système judiciaire suédois, et ils ont de plus en plus peur des
Suédoises. Ils s'en tirent en allant chercher des épouses à l'étranger, ou bien
ils se font gays et adoptent des enfants venus d'ailleurs.
Quelle honte, alors que la Suède
abrite les femmes les plus éblouissantes au monde: parfaitement charpentées,
avec leurs blondes crinières soulevées par le vent, et leurs yeux bleus qui
reflètent franchise et encouragements.
Jadis, j'avais été en transe après les
avoir vues pour la première fois, danser sur une pelouse autour d'un mât de mai,
bronzant sans soutien gorge sur un petit pont de bois enjambant un lac aussi
bleu que le ciel, posées comme des sirènes sur des rochers, car le sol suédois
n'est pas tendre, mais hérissé de grandes pierres de fer et de cuivre. Ces
roches ont été polies et roulées par les murailles de glace lors de leurs
mouvements millénaires, lorsque la Suède s'est libérée des glaciers. Les Suédois
avaient disposé ces immenses monolithes tout autour d'un ancien chêne, comme
une flotille. Là, ils hissèrent des amas de pierres sur les ruines brûlées des
puissantes chefferies vikings. Des siècles plus tard, ces anciens sanctuaires
attirèrent les églises du voisinage, décorées du sol au plafond par Albertus
Pictor au XVème siècle.
Les chênes sont toujours aussi
feuillus et puissants et vers, les lacs sont encore propres, l'armada de pierre
se dresse toujours au milieu des vertes prairies, mais les églises sont vides.
Elles sont devenues des clubs pour vieilles dames, tenues par une dame pasteure,
comme j'ai pu le constater dimanche dernier dans une magnifique église près de
Vasteras. Les hommes ont été lentement poussés vers la sortie, loin des postes
de pouvoir dans l'église, et maintenant les croyants ne s'y intéressent plus.
Ce ne sont pas seulement les églises
suédoises qui ont perdu leurs bergers mâles, les propriétaires des journaux
suédois préfèrent louer les services de femmes dociles comme Karin Olsson; il y
a peu d'éditorialistes hommes, sauf s'ils sont gays. Les éditeurs suédois ne
publient plus que des livres qui séduiront les femmes; des livres qui glorifient
les femmes et font des hommes des monstres, comme la cauchemardesque Trilogie
du Millénium, par le savant Stieg Larsson. Les musées suédois montrent le
genre d'art censé attirer le public d'un New Age gynocentré. Les universités
suédoises sont dominées par des professeures. En Suède, votre carrière est
compromise, si on découvre que vous êtes un mâle hétérosexuel. On dirait que le
pays est en guerre contre la sexualité naturelle; les manuels scolaires font la
promotion de la norme unisexe; les enfants ne sont plus désignés comme lui et
elle, mais "ça", et le moindre flirt est poursuivi pénalement..
Et la guerre aux mâles n'a pas
débouché sur une Suède plus charitable. La sécurité sociale suédoise est en
train d'être démantelée par les disciples d'extrême droite de Ronald Reagan; le
néo-conservateur Karl Rove envoie des soldats suédois se faire tuer pour l'OTAN
en Afghanistan, et bombarde la Libye au nom de l'Etat suédois. Et les citoyens
suédois ne sont pas plus gâtés. Plus de mal-bouffe, et l'obésité -plaie jadis
inconnue au Nord- défigure désormais leur silhouette autrefois splendide. Leur
pensée est désormais contrôlée par des médias configurés à la nouvelle mode,
tandis que leurs libertés chèrement conquises ont été vendues au nom de la
compassion.
Si l'on regarde en arrière, il
semblerait que les libertés de la Suède, tout comme les nôtres, ont connu leur
zénith juste après 1968. A l'époque, la Suède était la plus implacable pour
honnir la guerre au Vietnam. Les déserteurs US rêvaient de fuir en Suède, avec
la même intensité que le Yossarian de Heller. A cette époque, les petites
Suédoises cherchaient les aventures, et non les stratégies judiciaires. Les
Suédois passaient leur temps à construire l'église, à modeler le système de
bienfaisance scandinave unique, à produire les films de Bergman et des voitures
Volvo. Aujourd'hui même Volvo a été vendue aux Américains, qui l'ont aussitôt
revendue aux Chinois.
1968 a été aussi un climax pour les
Etats-Unis. A l'époque, les plus riches des Américains finançaient l'Etat à
hauteur de 90% de leurs revenus, alors qu'ils n'y consacrent plus que 30%. Et
ils ne s'en acquittent même pas, grâce aux boucliers fiscaux et autres
manigances. Le salaire minimum de l'ouvrier américain a connu son point
culminant en 1968. Oui, 1968, c'est le moment où l'humanité a été le plus près
du firmament.
Enfants de la révolution vaincue de
68, nous étions libres d'aimer, de fumer, de penser et d'agir. Nous pouvions
voyager et prendre l'avion sans être déshabillés à l'aéroport, et on ne nous
confisquait pas nos gaudrioles.
Nous pouvions faire l'amour et fumer
dans les cafés. Depuis, c'est la dégringolade; toute fumée est bannie, et la
pensée libre a été incarcérée entre les barreaux du Politiquement Correct, et
l'action politique réduite à l'inscription à des groupes sur facebook. L'amour
est devenu un champ de mines sous des lois victoriennes. On nous a ramenés aux
jours où Mr Pickwick devait se retrouver poursuivi par sa logeuse pour n'avoir
pas tenu sa promesse. La Suède n'est pas la seule victime de ce zèle
révolutionnaire. Partout, dans le monde entier, il y a des hommes qui perdent
leur place au soleil; ce n'est pas une coïncidence si nos libertés
s'évanouissent au même moment.
Y a-t-il une méthode derrière cette
folie furieuse? A1lexandre Douguine, esprit conspirationniste et prophète de la
Russie moderne a déclaré qu'il y avait à l'œuvre une ancienne conspiration
féminine pour nous ramener au matriarcat. Nombreux sont les observateurs
conservateurs qui s'en prennent aux féministes. Mais si les hommes ont
visiblement perdu la guerre, la victoire des femmes reste soumise à examen.
Autrefois, les femmes avaient le choix: rejoindre le monde des affaires ou
rester à la maison avec les enfants. Autrefois, les femmes pouvaient élever une
famille sans se sentir fautives. Autrefois les femmes pouvaient aimer qu'on les
flatte. C'est fini, car la déshumanisation des mâles a bientôt été suivie par la
déféminisation des femmes.
Je pense que la réalité est pire que
n'importe quelle conspiration à la Douguine. On s'aperçoit, parmi ceux qui
tiennent les rênes de notre monde, que des hommes féminisés sont plus faciles à
contrôler. Emasculer les hommes, c'est une étape dans la reprogrammation de
l'humanité en termes de troupeau docile, parce que les hommes solides sont
imprévisibles. Les hommes solides sont enclins à la rébellion, prêts au
sacrifice, et attirés par l'action. Ce n'est pas une coïncidence si les ennemis
de l'Empire sont tous des mâles bien mâles, qu'il s'agisse de Kadhafi, de Fidel
Castro, de Chavez, de Lukashenko, de Poutine, ou de Julian Assange. Les hommes
sont désormais ciblés et destinés à l'élimination; les fourmis travailleuses
n'ont pas besoin de sexe.
Les mots d'ordres féministes sont
devenus la façon la plus simple pour se débarrasser d'un homme, c'est ce que
nous apprend l'affaire DSK. Dominique Strauss Kahn a perdu son poste convoité au
sommet du fonds Monétaire International, et sa position de pouvoir est passée
entre les mains d'une dame peu suspecte de lézarder la suprématie du dollar
américain.
Une fausse déclaration par un une
tricheuse professionnelle, c'est tout ce qu'il a fallu pour le priver de sa
liberté, qu'il a recouvrée après avoir dépensé beaucoup d'argent. Il a fallu en
outre la connivence des media mainstream, ce qui est un indice certain que
quelque chose cloche là-dedans.
DSK doit être un vrai mâle, à en juger
par sa femme superbe, talentueuse, à l'intelligence solide, et aux multiples
réussites. Peut-être que c'est aussi un monstre sioniste capitaliste, mais
d'homme à homme je ne peux pas lui en vouloir d'avoir fait des avances à "une
journaliste et romancière brillante en France, ou pour avoir flirté avec "une
brillante économiste hongroise". C'est, après tout, un vrai Français, en somme.
Elles ont chacune eu une occasion de lui dire non, et elles l'ont fait. Dans une
société saine, cela devrait suffire.
Est-ce que les avances de DSK
constituent du harcèlement? Peut-être, et alors? Moi, les banques me harcèlent
constamment avec des offres de crédit, et ne portent-elles pas plus atteinte à
mon psychisme qu'une petite invitation à des entractes buissonniers? Est-ce
qu'une proposition en affaires est moins pesante qu'une proposition en amour?
Ces femmes ont juste refusé ses avances, comme moi je refuse celles des banques,
et je ne les ai pas renvoyées devant les tribunaux, alors qu'elles réclament à
la fois dédommagements et vengeance. Ne devrions-nous pas aussi poursuivre les
jeunes Zuleika Dobsons de ce monde pour le pouvoir sexuel dont elles disposent
sur leurs serfs rétifs? Devons-nous castrer nos hommes, voiler nos femmes, ou
ériger des murs de séparation comme dans les trains indiens?
Les attaques contre Assange, DSK et
Kadhafi font partie de la campagne pour déshumaniser l'humanité. L'empire
déteste Loukashenko et Poutine, et pas seulement parce qu'ils ne laissent pas
piller leur pays, mais aussi à cause de leur franche masculinité. Eric Walbert
dans son livre Great Games parle de la tragédie en profondeur qui se
déroule sous les révolutions colorées: ceux qui les organisent "castrent les
Etats modernes" afin de les transformer en lavettes post-modernes. Cette
"castration" est l'un des plans importants des dirigeants, et cela va bien plus
loin que les enjeux éphémères liés aux pipe-lines et aux ressources.
La défaite d'Assange, c'est une
défaite pour tous les hommes, et une défaite pour l'humanité, qui promet un
futur sinistre, à moins que nous fassions quelque chose. Ce n'est pas seulement
notre liberté, mais notre masculinité, qui est en jeu.
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