C'est la crise pour les Pirates des Caraïbes
Par Israël Shamir
(Conférence sur
l’Economie prononcée au Forum de Rhodes le 9 Octobre, 2011)
La crise qui est à
son comble en Grande Bretagne est du type « Pirates des Caraïbes » ; point de
trophée pendant longtemps, alors qu’ils ont à maintenir leur standing.... La
politique néolibérale a miné le peuple le plus coriace de la planète, les
Britanniques rougeauds et sûr d’eux-mêmes, durs à la tâche, prudents,
obéissants, le peuple qui a été capable de gouverner l’Inde, de brûler la Maison
Blanche et de résister à Hitler. Leur colonne vertébrale - les mineurs du
Yorkshire et les sidérurgistes de Sheffield - a été brisée par l’épicière en
gros de Golders Green [connu comme le quartier juif de Londres], surnommée la
Dame de Fer. Elle a fermé les industries et a changé les Iles Britanniques en un
paradis pour pirates, un endroit où les financiers viennent se détendre,
dérouler entre eux leurs cartes, et planifier leurs raids.
L’Angleterre est
devenue la société la plus impie du monde. Des bus portant le logo « Dieu
n’existe pas » circulent dans Londres. Au théâtre du Globe, des Mystères sont
joués, prétendus être les reprises de la production de Tony Harrisson de 1977,
laquelle s’inspirait d’œuvres médiévales mais, par opposition à la production de
ce dernier et au vieil original, ces reprises-adaptations actuelles sont
ouvertement anti chrétiennes. Au lieu du grand prêtre juif et de sa coterie, les
méchants sont des prêtres chrétiens en grande tenue sacerdotale.
La Sainte Vierge
est représentée comme une jeune dévergondée dans une robe bien courte. Pas une
seule voix de protestation n’a retenti dans toute l’Angleterre. Mais vous pouvez
être certains que si Deborah Bruce qui assurait la mise en scène avait mis les
rabbins prévus dans les textes d’origine à la place des prêtres, vous n’auriez
jamais entendu la fin de l’histoire.
En Angleterre
résident les Al Fayed (Mohamed Al Fayed d’assez mauvaise réputation) et
les Abramovich, et des millions d’immigrants qu'ils font venir pour être à leur
disposition.
Les Anglais
fournissaient des services financiers, géraient des sociétés de surveillance,
faisaient payer très cher l’enseignement dans leurs écoles. Le pays a voulu
faire du haut de gamme et a perdu sa base industrielle, exactement comme les
Hollandais adorateurs de la tulipe le firent au 19ème siècle.
Maintenant, à moins de pratiquer le brigandage, ils n’ont plus rien pour les
faire vivre. Ils ont besoin de tondre les étrangers juste pour joindre les deux
bouts.
A présent ils sont
frappés par une crise de confiance. Non seulement les gens ordinaires éprouvent
le sentiment de s’être fait rouler une fois de trop, mais les puissants et
riches étrangers partagent ce sentiment, particulièrement fort en Russie et dans
les autres Etats post-soviétiques, dans les pays qui produisent du pétrole, dans
des pays qui ont une industrie nationale. Ce sentiment s’est traduit en action :
- Hugo
Chavez a exigé qu’on lui restitue (physiquement) son or.
-
Vladimir Poutine s’est déclaré candidat au poste de Président.
- Le
ministre des finances russe Alexei Kudrin, le principal promoteur du Fond
Souverain russe (au sens restreint il s’agit des réserves de devises placées à
l’étranger) a été viré.
- La
Russie a décidé d’augmenter largement ses dépenses militaires ; c’est une
retombée de la guerre contre la Libye.
Le destin de
Kadhafi plane, tel l’esprit tourmenté du père d’Hamlet, sur bien des bureaux
présidentiels et dirigeants. Le guide libyen avait amassé une belle fortune, une
partie pour lui-même et sa famille, une partie pour son peuple, il l’avait
placée dans différentes banques, fonds, et tiroirs, et il s’est avéré qu’à la
place de ses dollars il aurait pu amasser autant de feuilles rouges d’érable, de
façon plus sûre et plus satisfaisante!
D'un claquement de
doigts, les Etats-Unis et leurs alliés ont gelé ses avoirs avant de les lui
voler. Certains actifs ont été donnés à des Libyens arbitrairement choisis,
appelés « rebelles de Benghazi », une autre partie a été utilisée pour payer les
barquettes pour chien qui ont eté transportées par avion à Tripoli pour nourrir
les gens dépossédés par les frappes de l’OTAN.
Ce fut le plus
grand détournement jamais réalisé au préjudice d’un Etat souverain mais aussi le
plus grand pillage de fortunes privées. Et cela a donné à bien des
vilains avares une
leçon qui est une vérité d’Evangile : n’entassez pas vos trésors sur terre, où
les escrocs s’introduisent par effraction pour vous les dérober. Ce gens
pensaient qu’ils pouvaient trouver une asile sûr à l’abri des gouvernants
despotiques, des masses rebelles et des voleurs ordinaires, en plaçant leurs
fortunes dans les coffres des gnomes suisses, ou autre lieu réputé civilisé.
Maintenant ils ont appris que l’argent électronique aux Iles Caïman n’est pas
plus en sécurité que les billets pliés de 20 dollars cachés sous un matelas.
Quel
choc !
Pourquoi cela
provoque-t-il une crise? Ce sont les officiels corrompus et les magnats
d'ailleurs, c'est-à-dire basés hors des Etats-Unis et de l’Europe occidentale,
qui constituent l’arme puissante et secrète du capitalisme. Quand le capitalisme
était au bord de l’effondrement, cette arme digne du jugement dernier fut
utilisée, la situation se retourna contre le socialisme, et
l’URSS s’effondra.
Sa richesse lui fut volée par ces hommes et femmes-là, et transmise aux banques
occidentales, offrant ainsi aux banquiers un répit de vingt ans de plus pour
nager dans le luxe.
Depuis, les officiels et les magnats ont fonctionné comme des abeilles,
s’afférant à collecter la douce sueur du front des gens ordinaires. Ils
expédiaient leur butin dans les ruches que constituent les banques offshores,
en pensant qu’il serait en sécurité. L’Occident les a encouragés à le penser.
Ils ont répandu des rumeurs selon lesquelles Poutine et Lukashenko auraient
placé des milliards dans des banques occidentales pour les jours difficiles.
Leurs medias ont raconté des histoires d’oligarques qui étaient capables de
s’envoler pour rejoindre leur magot dès qu'il n’étaient plus en
odeur
de sainteté.
De nombreux gouvernants corrompus et d’hommes d’affaires cupides l’ont cru et
ont continué à butiner, à récolter du miel.
Cette
façon de "faire leur miel" est le secret le mieux gardé de la supériorité du
capitalisme. Il se fonde sur la faiblesse humaine. Les mafias de la drogue
procèdent de la même manière : ils produisent et vendent de la drogue, et en
tirent de l’argent qu’ils gardent à la banque. Cet argent travaille en lieu et
place de l’épargne et même mieux. Quand les économistes se lamentent sur les
faibles taux de l’épargne aux Etats-Unis, ils oublient de compter l’épargne
récoltée via les cartels de la drogue. C’est l’une des raisons du séjour
américain de ces dix dernières en Afghanistan : la drogue a nourri le système
bancaire.
La
privatisation est un autre outil puissant : les propriétés privatisées
alimentent de nombreux produits dérivés proposés par les banques. Les
privatiseurs ont besoin des banques, et c'est auprès des banques qu'il déposent
leurs profits. Dans l’espace post-soviétique, les officiels prélèvent leur
commission sous forme de pots de vin, et cet argent aussi va vers les banques.
Ainsi
les dirigeants corrompus, les hommes d’affaires et les parrains de la drogue
remplissent une fonction importante dans le système financier mondial : les
banquiers occidentaux n’avaient pas à se rendre au bout du monde dans des villes
russes ou des villages indiens pour extorquer à un travailleur quelques roubles
ou roupies. Ce sont les abeilles qui rapportent le miel à la ruche.
Avec
l'opération main basse sur la Libye, même les plus stupides et les plus
corrompus des dirigeants de Russie ou du Kazakhstan ont découvert ce que les
abeilles apprennent, elles aussi, à leurs dépens. Quand les ruches sont pleines
de miel, l’apiculteur enfume les abeilles pour les chasser et récolte leur
production. Les abeilles ont beau avoir envisagé d’utiliser leurs économies pour
leur retraite ou l’amélioration de leur logis, un jour elles découvrent avec
tristesse que les humains ont d’autres projets pour leur miel. La première vague
de la crise de 2008 a été le début d’une opération d'enfumage
en ce sens;
la campagne de Libye constitue la seconde étape, elle permet de montrer ce qui
peut arriver aux abeilles qui résistent à la crise.
Eu
égard à la supériorité absolue des Maîtres du Discours une telle rapine peut
être justifiée n’importe quand. Les riches en Russie se doutaient bien qu’ils ne
pouvaient mettre à gauche un petit milliard et se réfugier aussi sec aux
Bahamas, j’ai entendu parler de ceux qui ont essayé ; quand ils sont arrivés
pour réclamer leurs sous, ils se sont vu signifier que leur visa avait expiré,
ou qu’ils devraient apporter la preuve que cet argent avait été honnêtement
gagné, ou qu’il avait disparu, tout simplement, pour quelque bonne raison.
Deux
pays pourvoyaient aux besoins des fugitifs: la Grande Bretagne et Israël. Les
milliardaires juifs qui se réfugiaient en Israël furent dûment tondus par l’Etat
juif. Nevzlin eut à investir la moitié de sa fortune dans des entreprises
israéliennes douteuses ; Gaydamak se retrouva presque au bord de la faillite.
Gusinsky passa de prison en prison avant d’être détroussé par des familles
israéliennes établies. La Grande Bretagne offre aussi refuge aux oligarques en
fuite et les protège des enquêtes criminelles. Mais elle les tond fort ras : les
milliards fabuleux de Boris Berezovsky ont rétréci jusqu'à quelques millions.
Les autres espéraient quand même qu’on les autoriserait à conserver une partie
de leurs gains illégaux dans le moelleux confort occidental s’ils se
soumettaient aux ordres de Washington. A présent cet espoir est en train, lui
aussi, de s’évanouir.
Quand
les abeilles ne produisent plus de miel, il existe d’autres moyens d'en trouver.
Les banques occidentales et les Etats avaient fait la promotion de leurs prêts,
et ils avaient autorisé les politiciens bénéficiaires à voler les emprunts
souscrits, comme Perkins l’a expliqué. Mais, maintenant, cette méthode est moins
populaire, de même que les chances de réussir à planquer des biens volés ont
considérablement baissé. Très haï à L’Ouest, Vladimir Poutine l’ancien et futur
président de la Russie, a remboursé aussitôt qu’il en a eu l’occasion, les
dettes de la Russie, tandis qu’un autre « dictateur » exécré, Lukashenko, lui
aussi, a refusé les prêts du FMI.
Ensuite il y a les fonds souverains. Les pays producteurs de pétrole placent
habituellement une grande partie de leurs revenus aux Etats-Unis et au Royaume
Uni. Ces fonds sont tenus pour garants de la "bonne conduite" du pays
producteur ; ainsi, l’Iran a perdu ses fonds après avoir mis en place un régime
islamique. Certains Russes considèrent qu’il s’agit d’une sorte de tribut que
leur pays paie à leur vainqueur de la guerre froide. Ils considèrent même que
l’attentat d'Anton Breivik est une riposte au projet de la Norvège de rapatrier
ses fonds souverains, un plan qui est anathème aux Etats-Unis. La Russie ne
possède aucune raison pratique de laisser son argent investi dans des fonds
américains à de faibles taux d’intérêt alors que les industries russes paient de
fort taux d’intérêt sur des emprunts contractés à partir de cette source.
D'autant moins que, comme on le sait, ces fonds peuvent être gelés ou saisis à
n’importe quel moment. Ils peuvent aussi disparaître suite à un investissement
imprudent, comme cela est arrivé une fois aux caisses de retraite suédoises et
norvégiennes.
Alexei Kudrin a été ministre des finances de la Fédération de Russie pendant 11
ans. Il était le partisan le plus éloquent et influent, parmi les officiels
russes, pour l’investissement en fonds américains, et il était dûment loué comme
étant un financier aussi prudent qu'excellent. Il y a quelques jours, il a
exprimé son désaccord avec le projet du Président Medvedev d’augmenter
significativement les dépenses militaires. Il s’est fait virer sur le champ ; ça
a été un choc pour un homme qui se considérait lui-même comme au dessus du lot ;
cela a été un choc pour ses partisans.
Les
câbles de Wikileaks révèlent que Kudrin était considéré par l’ambassade
américaine comme "le plus transparent et réaliste parmi les principaux
interlocuteurs du
Groupe
d’Observation et de Recherche,
en ce
qui concerne les sujets économiques".
Il
était aussi le plus enclin à rechercher une coopération avec les Etats Unis et
d’autres pays occidentaux. Parmi les dirigeants russes "certains le trouvent
irritant et l’accusent de trahison" selon les câbles. Kudrin était partisan
d’une ligne modérée en matière de politique étrangère et s’opposait à la ligne
exposée dans le discours de Munich de Poutine. Au moment culminant de la crise
de 2008, il donna de l’argent aux banques et coupa complètement les dépenses du
gouvernement pendant six mois. Soit dit en passant, Kudrin n’a jamais été
poursuivi pour avoir participé à l’énorme fraude et au vol concernant les
prétendues affaires de la dette du Kuweit et de l’Algérie, alors que son
représentant a passé quelques mois en prison.
Ce
personnage néolibéral, monétariste, pro-occidental et occupant une position clé
s'est retrouvé perdu pour l’Ouest quelques semaines seulement après la chute de
Tripoli. Et c’est de mauvais augure pour les bénéficiaires occidentaux des Fonds
Souverains russes, soit qu’ils soient rapatriés, soient qu'ils soient autorisés
à se flétrir quelque peu.
C’est
la raison de la crise. Même les sales types ne font plus confiance au système.
L’effondrement de l’URSS a retardé une crise qui était attendue depuis
longtemps. Tant de richesses ont été prises au bloc démembré de l’URSS ! Les
pays qui lui ont succédé ont été spoliés, et leurs biens volés ont permis de
subventionner la dolce vita à l’Ouest. Les banquiers et les financiers se sont
habitués à bien vivre en contrôlant les flux de liquidités et les actifs. Mais
ils ont oublié une règle importante dans l'apiculture : il faut toujours laisser
un peu de miel dans la ruche, sans quoi les abeilles ne rapporteront plus leur
production. Ils ont trop prélevé, sur trop de gens, et maintenant les gens ont
perdu le peu de confiance qui leur restait dans le système.
Traduction: Xavier Lavaud
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