La Grèce, une perle lancée aux cochons
Publié le 12/07/2015
La Grèce est la perle de la Méditerranée, des générations d’étrangers en
sont tombé amoureux, de Lord Byron à Graves et Fowles aussi. De la
philosophie à la feta, de l’histoire au yaourt, de la poésie au miel, ils
ont donné l’exemple à suivre. Leurs prêtres préservent la foi originelle,
leurs combattants ont vaincu Mussolini ; leur Hélène est l’épitomé de la
beauté féminine. Mais ils font aussi un vin âcre qu’ils appellent raisiné et
une authentique musique de bachi-bouzouk qui devrait modérer notre
hellénophilie.
Ils viennent de nous donner un autre exemple à suivre : comment prendre les
banquiers à leur propre jeu. La victoire spectaculaire du gouvernement de
Syriza au référendum a été une surprise : partout, les sondages hésitaient
entre un résultat indécis et un franc soutien aux programmes européens,
tournant autour de 51/49. Et pourtant, les Grecs ont fermement confirmé le
mandat de leur gouvernement. Le problème, qui reste entier, est celui du
choix de Syriza et de sa détermination.
Le parti au pouvoir avait pris un risque inutile en convoquant un
referendum, puisqu’ils avaient bel et bien remporté les élections avec leurs
propres mots d’ordre quelques mois plus tôt. Cela sous entendait une
versatilité, comme s’ils préféraient perdre et refiler la patate chaude à
d’autres. D’ailleurs, ils n’avaient fait aucun effort pour gagner : aucune
campagne pour le non, pas de couverture médiatique pour les manifestations
en faveur du non. Est-ce qu’ils espéraient perdre, ou gagner avec une très
faible marge ? C’est possible. En tout cas, le peuple grec a déjoué le
stratagème et les somme d’avancer.
Maintenant, c’est au gouvernement d’organiser un Grexit en douceur mais sans
retard pour prendre le large et s’arrimer à une nouvelle drachme. Lâcher
l’Europe et l’OTAN, voilà qui changerait la donne. Il ne suffit pas de
refuser le repêchage.
Les Grecs ont eu raison en refusant de payer leurs dettes, parce qu’elles
leur ont été imposées par le calamar géant Goldman Sachs, selon Matt
Taibbi : « la première chose à savoir c’est que Goldman Sachs est partout.
La plus puissante des banques d’investissement est un vampire des abysses
qui enserre la face de l’humanité, et qui étanche sa soif de sang avec tout
ce qui sent l’argent. » Maintenant nous le savons (et nul besoin d’être
antisémite pour le détester, tentacules compris), c’est Goldman Sachs qui a
truqué les comptes, prétendant que la Grèce avait une cote de crédit élevée
alors qu’ils connaissaient tous l’énormité de sa dette. Quand la dette a
fait boule de neige, ils ont tiré sur la corde et coulé la notation de la
Grèce, sauvant les banques aux dépens du contribuable européen.
Sur 320 milliards d’euros, la Grèce en a perçu et utilisé environ 20
milliards, tandis que le reste allait aux banksters. La Grèce ne pouvait pas
rembourser : après cinq ans d’efforts, le pays est affaibli, et encore plus
endetté. L’austérité a bousillé vies et infrastructures. Les banquiers
avaient prévu de vendre toutes les richesses nationales : ports, chemins de
fer, terres ; et vous pouvez imaginer sans risque de vous tromper qui allait
racheter tout ça. Les négociations entre l’Europe, le FMI et la Grèce
étaient malhonnêtes, explique Ashoka Mody dans un essai technique qui a été
très lu. Voilà pourquoi les Grecs ont élu le parti d’extrême gauche Syriza
et sa contrepartie d’extrême droite INIL, pour casser les règles du jeu
faussé.
La Grèce est un petit pays, et ne pouvait pas avoir le dessus face à
l’establishment européen, politique et bancaire. Heureusement, il y a un
pays qui est capable d’apporter son aide, et qui est prêt à le faire. C’est
la Russie, sa sœur dans la foi. La Grèce pour la Russie, c’est comme
l’Italie pour les catholiques, comme l’Angleterre pour les US : la source de
leur culture et de leur religion. Les prêtres grecs sont ceux qui ont
apporté sa foi à ce qui allait devenir la Russie. La Grèce et la Russie
partagent le même héritage byzantin. Arnold Toynbee, l’histoire britannique,
distinguait plusieurs civilisations européennes, les unes avortées (celles
de l’Extrême Ouest et de la Scandinavie) et deux autres pleinement
épanouies ; celle de l’Europe occidentale, basée sur l’Eglise de Rome, et
celle des chrétiens orthodoxes, basée à Constantinople. La Russie et la
Grèce appartiennent à cette dernière.
L’UE est une réincarnation de l’empire romain et de celui de Charlemagne.
Elle est chez elle en France et en Allemagne, mais est tout à fait étrangère
aux Suédois et aux Grecs, aux Lettons et aux Bulgares, aux Ukrainiens et aux
Russes. L’UE a outrepassé ses limites et a amené des calamités aux ses
peuples comme à ses voisins.
Et figurez-vous que ce n’est pas la première fois que les Occidentaux
colonisent l’Orient orthodoxe : en 1204, ils avaient écrasé l’empire
byzantin et installé leurs propres royaumes et duchés, ensuite abolis par
les Turcs. Après que la Grèce ait retrouvé sa souveraineté en 1821, elle est
retournée sous la tutelle occidentale, et y est restée. En 1945, les Grecs
ont fait un effort héroïque pour faire front commun avec la Russie, mais
Churchill a utilisé les troupes allemandes vaincues pour écraser le
mouvement indépendantiste grec, tout en installant ses agents à Athènes. La
Russie soviétique n’a pas vraiment fait obstacle, parce que les accords de
Yalta mettaient la Grèce dans le camp de l’Ouest, tandis que la Pologne
revenait à l’Est. Maintenant, il se trouve que l’Ouest a mis le grappin à la
fois sur la Grèce et sur la Pologne. Les Grecs ont été poussés vers l’OTAN
et l’UE, et ils y seraient restés coincés à jamais, n’était la voracité des
banquiers.
La Russie est la seule partie du monde byzantin qui est restée indépendante
et fidèle à sa religion. La Russie est un partenaire naturel pour la Grèce
et pour ses voisins des Balkans. La Russie peut à présent donner un coup de
main à la Grèce, en lui achetant son vin, son fromage, ses olives, qui ne se
vendent pas bien à l’Ouest, en envoyant ses pèlerins visiter les mausolées
sacrés sous son cruel ciel bleu, en encourageant ses industries, en donnant
un sens à la vie de la jeunesse, au-delà des petits jobs aux basques des
touristes allemands. Et les Grecs adorent les Russes, la sympathie est
réciproque.
Leurs sympathies pro-russes avaient fait la renommée du parti Syriza et de
son partenaire ANEL (certains corrigeraient : leurs sympathies
« notoires »). Mais, depuis qu’ils ont été élus, ils se sont mis à jouer
Bruxelles contre Moscou, comme une jeune fille qui fait de l’œil à deux
prétendants pour les garder tous les deux à ses pieds. L’expert grec et
avocat londonien Alexander Merkoulis a fait la liste des tentatives russes
pour aider la Grèce. Ils ont offert cinq milliards d’euros pour construire
un gazoduc jusqu’en Grèce, ce qui permettrait à la Grèce de vendre du gaz à
l’Europe. Miller, représentant de Gazprom, s’est rendu à Athènes avec un
dossier tout prêt, mais il en est revenu les mains vides.
Tsipiras avait promis de venir à Moscou pour les cérémonies du 9 mai, et
s’est dégonflé à la dernière minute. Il a été d’accord pour étendre les
sanctions contre la Russie, tout en participant au forum de Saint
Pétersbourg. Cela a sapé la confiance russe. « Les Russes doivent en avoir
vraiment assez de ce personnage qui fleurte et prend la fuite au dernier
moment, ajoute Merkoulis.
C’est l’histoire de l’Ukraine qui se répète. La Russie avait offert
d’énormes crédits à l’Ukraine en 2013, elle pouvait racheter sa production
industrielle, revigorer son industrie et son agriculture, mais le président
Yanoukovitch n’avait pas osé. Il se retrouve en exil, et son pays est
ruiné ; il faudra aux Ukrainiens vingt ans pour retrouver la position qu’ils
avaient en 2013, disent les experts de l’UE.
La Grèce n’a aucune envie d’entrer en guerre civile, ils en ont soupé en
1945, mais les vieilles blessures peuvent se rouvrir. La zone la plus
favorable à la Russie lors de l’insurrection de 1945, l’île de Crète, a
massivement voté contre l’UE, à 75%. Le gouvernement Syriza va tenter de
renégocier avec le FMI et avec l’UE en jouant de l’alternative russe. Mais
même s’ils y gagnent un répit, leur économie ne va probablement pas revenir
à la normale.
Le problème, ce n’est pas la Grèce, c’est l’UE. Cette entité a trois
objectifs. C’est d’une part une coalition de banquiers contre les peuples,
d’autre part un harnais grâce auquel les US peuvent contrôler une Europe
colonisée, et enfin leur outil pour la désindustrialisation et la
déséducation d’un continent extrêmement développé. Sous le joug de l’UE, des
hordes de mendiants en provenance de Roumanie, et de réfugiés en provenance
d’Afrique se lancent à l’assaut du Nord. Sous le joug de l’UE, la Lituanie
jadis industrielle et la Hongrie sont devenues des cas désespérés, tout leur
secteur high-tech est parti ailleurs. Sous le joug de l’UE, le système de
sécurité sociale a été démantelé, tandis que l’éducation sexuelle des
enfants et les petits jeux de genre passent à la vitesse supérieure. Voilà
pourquoi les nations, de la Suède à l’Italie, de l’Angleterre à l’Espagne,
appellent à en finir avec l’Union européenne.
La Grèce s’en sortirait bien mieux hors de l’UE, comme tout le monde
d’ailleurs. Signe très angoissant, le ministre des finances Yanis
Varoufakis, un négociateur intraitable, fils d’un combattant de 1945,
capable de ramener son pays à la liberté, a été démis juste après le
referendum. Alexis Tsipras va essayer de négocier personnellement, et c’est
un tendre, disent les Grecs.
C’est malheureusement juste une question de tripes, et de manque de cran.
Trop de dirigeants hésitent et s’en tiennent à une attitude contemplative,
au lieu d’agir. Nous avons mentionné Yanoukovitch, mais il y a une longue
liste de noms à rappeler, en commençant par Allende, un homme de paix
assassiné à la faveur d’un coup d’Etat. Les dirigeants qui ont fait face au
vampire des abysses, depuis Nasser jusqu’à Poutine, ont été descendus en
flammes comme les « nouvel Hitler » du moment, mais de fait ils s’en sont
mieux tirés. Les US eux, n’hésitent jamais, ils foncent : pour faire main
basse sur le Panama et la Grenade, pour attaquer l’Afghanistan et l’Irak, et
ce culot à toute épreuve est le secret de leur réussite.
Mais il est trop tôt pour désespérer. Le referendum est une victoire, et une
victoire peut faire des miracles, même avec des dirigeants mous et pleutres.
Quelle honte, jeter la perle qu’est la Grèce à ces porcs que sont les
banquiers.
Traduction de l’anglais : Maria Poumier
First published in The
Unz Review
Israel Shamir can be contacted at adam@israelshamir.net