André Pshenichnikov, téméraire combattant contre l'apartheid
israélien
par Israël Adam Shamir
Le
téméraire André Pshenichnikov, 24 ans, se bat contre l'apartheid israélien.
C'est un cas, un cas si peu commun qu'il se retrouve dans une prison égyptienne
pour avoir franchi la frontière sans papiers. Son histoire vient de loin.
J'avais d'abord entendu parler de lui en tant que jeune programmeur, d'une
banlieue de Tel-Aviv, installé dans le camp de Deheishe, près de Bethléem, en
Cisjordanie occupée. Il n'y était pas pour faire un reportage sur le mode de vie
des Palestiniens, ni pour un journal, ni pour se faire connaître, il ne cachait
ni ne soulignait son identité israélienne. En fait, il ne se conduisait pas en
militant, on ne le voyait pas dans les manifs, il ne goûtait pas aux joies de la
popularité. Il avait simplement loué une chambré, il travaillait dans le
bâtiment ou faisait le service dans un restaurant pour touristes, comme
n'importe quel Palestinien de son âge à Deheishe, il vivait de son salaire avec
des gens ordinaires. Mais il avait franchi la plus blindée des frontières.
Imaginez un jeune blanc de Philadelphie cueillant le coton dans les champs et
vivant avec les noirs dans une case sur une plantation du Mississippi, à
l'époque de Jim Crow. Personne n'est allé aussi loin. Il brisait un tabou
important, parce que les Israéliens croient dur comme fer que les Palestiniens
leur tireraient dessus à la première occasion. Son exemple est une réfutation de
ce fantasme. Il avait renoncé dans sa chair à l'apartheid, en vivant comme les
Palestiniens.
Mais
cela ne se passait pas très bien. J'étais toujours suspect, dit-il. Les gens
étaient hostiles, à part quelques téméraires. Les Palestiniens ne comprenaient
pas ce qu'il faisait là, et l'avaient subrepticement livré à la sécurité
israélienne comme on se débarrasse d'une patate chaude. Et les Israéliens de le
faire condamner aussi sec, pour s'être introduit dans les territoires
palestiniens, ce qui est interdit selon la loi israélienne.
Cela ne
l'avait pas refroidi, il était décidé à poursuivre sa croisade personnelle; il a
déclaré qu'il renonçait à sa citoyenneté israélienne, et a demandé la
nationalité palestinienne. Aucune réponse de l'Autorité palestinienne, car
celle-ci ne se positionne pas en tant que gouvernement alternatif, comme le
souhaiteraient bien des Israéliens.
André
Pshenichnikov (un nom qui pourrait se traduire par "l'enfariné") né en URSS
juste avant qu'elle ne s'effondre, avait été emmené en Israël par ses parents.
Il y a fait ses études, et a servi dans l'armée israélienne, mais n'en est pas
moins resté un bon petit Russe idéaliste. Il n'a pas réussi à devenir ce qu'on
attend là-bas d'un juif, mais il est devenu humain à part entière, ce qui mérite
tous les honneurs.
Cela
peut paraître extravagant, qu'un personnage à la Tourgueniev surgisse dans notre
ère pragmatique, et qu'il y en ait qui partent à la rencontre du peuple des
travailleurs. Mais le peuple travailleur, comme au temps jadis, continue à
livrer ces belles âmes aux forces de sécurité, parce qu'il ne les comprend pas.
Il y a
bien des adolescents qui reçoivent un choc très positif avec ce qu'ils
découvrent en faisant leur service militaire. L'occupation est si brutale que
cela leur fait un choc, qui les amène à rejeter la pensée officielle
israélienne. Après leur service militaire ils émigrent ou se retirent de toute
vie publique. Certains vont plus loin. André Pschenichnikov, enfant soviétique
d'une mère russe et chrétienne, ne pouvait pas comprendre ses camarades bien
déshumanisés par le lavage de cerveau sioniste, humiliant les Palestiniens aux
check-points, arrêtant les hommes et insultant les femmes, ou tirant sur les
enfants palestiniens pour le fun. Et c'est pourquoi il était parti s'installer à
Deheishe.
Ses amis
de la gauche pro-palestinienne l'ont invité à un colloque au Caire. La police
lui a confisqué son passeport, et l'imprudent gamin a sauté par dessus la
frontière sans papier. S'il croyait qu'il allait être reçu en héros, il a vite
déchanté. Les Égyptiens l'ont mis sous les verrous, pour deux ans, alors que ce
délit est généralement passible d'une amende ou au maximum d'une semaine de
prison. Pour les Égyptiens, ce n'était qu'un Israélien suspect parmi tant
d'autres. Peut-être que les services secrets israéliens avaient demandé à leurs
collègues égyptiens de le garder au frais aussi longtemps que possible. Son
désir sincère de soutenir les Palestiniens à ce degré-là, on ne le comprenait
pas plus dans le Sinaï qu'à Deheishe. C'est tragique, le cas de ceux qui en
franchissant la ligne rouge rendent les autres extrêmement soupçonneux. C'est ce
qui est arrivé aux Allemands anti nazis pendant la Seconde guerre mondiale: les
gens ne savaient pas quoi en faire, mais c'est eux qui ont été à la base des
changements qui ont suivi la guerre.
Ce
genre de gamin est indispensable si nous voulons démanteler l'apartheid en
Palestine - Israël. Les gouvernements arabes devraient les porter aux nues, au
lieu de les garder sous clé. Il y a trop peu d'Israéliens ou de juifs qui
choisissent de vivre au milieu des Palestiniens. quelques Israéliens l'ont fait,
tels Uri Davis ou Neta Golan, qui se sont mariés de l'autre côté de la "ligne
verte". Amira Hass a vécu à Gaza et à Ramallah, mais elle continuait à écrire
pour Haaretz. J'ai passé la plus grande partie de ma vie à Jaffa, dans la ville
palestinienne du bord de mer, mais c'est une cité traditionnellement cosmopolite
sous administration israélienne, et beaucoup d'artistes et d'écrivains
israéliens y habitent. André avait fait un bond important.
La
patrie russe d'André a entendu parler de son sort et a décidé de donner un coup
de main à son enfant égaré. C'est l'autorité palestinienne qui devrait en faire
plus pour le tirer d'affaire, et nos amis, amis de la Palestine en Égypte et
ailleurs peuvent aussi faire quelque chose. Il a agi en étourdi, mais ses
intentions étaient nobles, et nous avons besoin de ce genre de personnes.
Traduction: Maria Poumier
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